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Coronavirus : le compteur de la dette s’emballe dans la zone euro

Sommaire

Pour soutenir leur économie et faire face à la crise sanitaire provoquée par le coronavirus, les Etats de la zone euro vont creuser leur déficit. Conséquence, ils vont devoir lever des montants de dette exceptionnels. Cinq questions pour comprendre les enjeux financiers de ce choc.

Des économies en panne, des dépenses de santé qui explosent, des déficits qui se creusent… Les Etats européens sont probablement confrontés à la pire récession qu’ils ont connue depuis 1929. Cette situation exceptionnelle les met face à une équation financière inédite. Et soulève plusieurs questions.

 Combien de milliards d’euros de dette supplémentaires ?

L’ardoise finale est encore impossible à chiffrer. Mais l’on devine que les montants empruntés par les Etats vont battre le record de 2010, de 950 milliards d’euros. « Nous estimons que 150 milliards d’euros d’émissions à moyen et long terme vont s’ajouter aux 890 milliards déjà prévus », indique Cyril Regnat, analyste chez Natixis. Le chiffre exact dépendra de l’aggravation des déficits budgétaires. « En moyenne, le déficit des pays de la zone euro devrait augmenter de 5 à 7 points cette année. » Certains pays ont déjà fait des annonces, comme l’Allemagne et la France. Le 18 mars, un premier budget rectificatif préparé par Bercy prévoyait 22,5 milliards d’euros supplémentaires d’emprunts en 2020. Le montant pourrait encore augmenter compte tenu des dernières annonces ( le déficit est désormais attendu à 7,6 % du PIB ).

Au total, ce sont plus de 1.000 milliards d’euros à moyen long terme qui devraient donc être émis cette année par les Etats membres. A cela s’ajoutent 400 milliards de dette à court terme. « Comme lors de la crise financière, les Etats cherchent à privilégier les bons du trésor pour financer leurs besoins de trésorerie extraordinaires, explique Cyril Regnat. Et comme beaucoup se financent à taux négatifs sur les maturités courtes, ils vont gagner de l’argent en empruntant. » L’Allemagne va financer 75 % de ses nouveaux besoins avec de la dette à court terme au deuxième trimestre.

La BCE va-t-elle monétiser la dette des Etats ?

Pour placer toute cette dette supplémentaire, les pays de la zone euro vont pouvoir compter sur la Banque centrale européenne , qui a ajouté près de 900 milliards d’euros à son programme d’achat classique d’actifs. En outre, son programme d’urgence contre la pandémie l’autorise à s’affranchir des limites de taille qu’elle peut acquérir dans chaque pays. « En moyenne, la BCE peut acheter pour 120 milliards d’euros par mois jusqu’à la fin de l’année, estime Stéphane Déo chez LBPAM. Si le déficit reste entre 5 % et 10 % du PIB de la zone euro, la banque centrale pourrait en théorie absorber tout le surplus de dette émis par les Etats. » Ce « bazooka monétaire » va ainsi faciliter l’accès des Etats au marché, en conservant des coûts d’emprunts faibles. Et la BCE va aussi pouvoir acheter des titres courts.

Des voix s’élèvent pour qu’elle annule une partie de cette dette. Problème : le Traité de fonctionnement de l’Union européenne interdit le financement monétaire, c’est-à-dire le financement par la BCE du déficit des Etats. Christine Lagarde a d’ailleurs rejeté cette hypothèse, lors d’une interview sur France Inter. Mais dans les faits, une partie des obligations détenues par la banque centrale se retrouve neutralisée. On peut le voir notamment dans les comptes de la Banca d’Italia. En 2019, la banque centrale italienne avait en portefeuille environ 15 % de la dette d’Etat transalpine, qu’elle a achetés pour le compte de la BCE. Or ces titres rapportent des intérêts qui s’ajoutent au bénéfice de la banque centrale, qui est lui-même reversé à l’Etat. « Au titre de 2019, l’Italie va percevoir 8,8 milliards d’euros, ce qui équivaut à une baisse de 15 % de la charge d’intérêts de la dette, d’après nos calculs », souligne Stéphane Déo. Une bonne affaire.

Comment vont réagir les investisseurs et les banques ?

Les annonces d’une hausse de l’endettement des Etats ont fait craindre que les banques puissent être incitées par les pouvoirs publics locaux à absorber ces nouvelles émissions. Pour l’instant ce risque est écarté, les achats de la BCE jouant à plein. Par ailleurs, même si la banque centrale capte une quantité énorme de titres, les investisseurs (gérants, assureurs, fonds de pension…) pourraient retrouver de l’appétit pour certains emprunts d’Etat malmenés ces dernières semaines. « Depuis l’entrée en action du plan d’urgence de la BCE, le 18 mars, le taux à 10 ans italien ne s’écarte plus beaucoup de 1,5 %, note Stéphane Déo. La volatilité a été étouffée. » Cette stabilité diminue le risque auquel s’exposent les investisseurs.

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Ce déluge de dette va-t-il peser sur la notation financière ?

C’est l’une des grandes interrogations des marchés. Face à cette envolée de l’endettement des Etats, les agences de notation vont-elles procéder à des dégradations massives ? La question est particulièrement sensible pour l’Italie, à deux crans de la catégorie « mal notée » pour S&P Global Ratings et Fitch, qui l’ont placée sous perspective négative, et à un cran seulement pour Moody’s. « A priori, il devrait y avoir une sorte de trêve pour les émetteurs souverains, explique un bon connaisseur du marché. Tous les pays du monde sont affectés par le coronavirus, et les agences peuvent craindre une volée de bois vert si elles se montrent trop sévères avec les Etats. »

Mais en 2021, elles devraient se monter plus exigeantes. « Les effets du choc du coronavirus sur le profil de crédit des Etats de la zone euro vont principalement dépendre de la durée de ce choc, et de la capacité des gouvernements à présenter une stratégie de reprise crédible une fois que le choc aura disparu », explique Moody’s. « On peut espérer qu’une grande partie du surcroît de déficit budgétaire soit conjoncturelle et que cela ne se traduise pas par un déficit structurel accru. Si c’est bien le cas, on peut espérer que les agences de notation resteront clémentes », fait valoir le directeur de l’Agence France Trésor.

Vers une nouvelle crise de la dette ?

Des Etats qui s’endettent pour voler au secours de leur économie frappée par une crise exceptionnelle… ce scénario ravive quelques mauvais souvenirs. C’est cet engrenage qui a fait que la crise des « subprimes » venue des Etats-Unis s’est muée en crise de la zone euro quelques années plus tard. Les pays qui ont vu leur dette exploser – Espagne, Irlande, etc. – ont ensuite été durement sanctionnés par les marchés (flambée des taux, augmentation du différentiel avec l’Allemagne…).

Ceux qui ont été aux premières loges en 2009-2012 redoutent qu’on ne soit en train de semer les graines d’une crise de la dette. « A un moment, il y aura un débat dans les marchés concernant la soutenabilité de la dette », assure un haut responsable européen. Selon lui, la zone euro risque d’être en première ligne. « Les marchés savent bien que nous avons plus de mal à gérer ces questions, que c’est plus compliqué que pour le Japon ou les Etats-Unis. » Et surtout, le cas de l’Italie est préoccupant. Pour le patron de l’Agence France Trésor, il est aussi impossible d’ignorer cette menace. « A l’heure où l’on essaie de limiter les dégâts économiques et humains provoqués par le coronavirus, il serait inaudible d’évoquer la question de la future consolidation des finances publiques. Mais à un moment donné, elle reviendra. Comme en 2009-2010, les agences de notation et intervenants de marchés réexamineront les trajectoires de dette des pays. »

Il n’existe que trois manières de rendre une dette soutenable : la croissance (difficile de compter dessus), l’inflation ou la restructuration. « Les banques centrales absorbent une grande quantité de dette publique, maintiennent des taux bas, cela s’est déjà vu. Mais imaginons un épisode inflationniste. Que fera la BCE ? Elle n’osera pas relever ses taux pour ne pas provoquer la faillite d’un Etat. C’est très problématique. C’est la raison pour laquelle cette politique ne peut pas durer trop longtemps », explique ce responsable européen. Et de rappeler que l’option d’une restructuration de dette reste la plus douloureuse. Surtout si elle doit s’appliquer à l’Italie, dont le fardeau est beaucoup plus lourd que celui de Grèce. C’est pourquoi, pour lutter contre le coronavirus, une mutualisation des moyens de financement apparaît si nécessaire.

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